Dans Aspie je t'M Marie témoigne avec une extrême sensibilité de sa relation amoureuse avec un homme présentant le syndrome d'Asperger. Un ouvrage fort qui éclairera les personnes qui empruntent ce même chemin, parfois sans le savoir.

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Extraits


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Tout ce temps, tout ce chemin, toute cette énergie,

tous ces élans pour te connaître, pour te comprendre

n’ont d’autre désir que celui de t’Aimer mieux,

de t’Aimer tout simplement.


photo du  net
 

1

...
      A plusieurs reprises des rafales retournèrent mon  parapluie et il me fallut à chaque fois faire volte-face pour le remettre à l'endroit. Je  pressai le pas pour arriver plus vite à l’abri. J'accédai enfin à mon véhicule et m'y engouffrai. Sur le pare-brise, les gouttes de pluie glissaient, se mêlaient puis roulaient, dévalant de plus en plus vite la surface lisse et pentue pour former de véritables ruisselets. Je restai un moment pensive à suivre leurs trajets croisés.


©photo MdA- Droits réservés

          — Etrange journée, me dis-je, mais je suis venue. J’ai eu le courage. Je l’ai fait pour lui, et pour moi aussi.
...
       Je tenais enfin un début d’explication, pas seulement celle du cœur, celle de la raison que j'avais cru perdre tant de fois ces dernières années. Le chemin s’ouvrait et j’étais décidée à le suivre pour aller plus loin, pour aimer davantage encore celui qui, un jour, était entré dans ma vie et l’avait bouleversée.               p.42-46
         
2
 ...
             Ce fut un enfant bien singulier que l’on m’annonça pour la rentrée à venir.
— Simon est un enfant différent, m'avertit le directeur de mon établissement,
— Différent … c’est à dire ?
— Simon est autiste.  
Autiste ! J’allais avoir un petit élève autiste !
 ...
 En dépit de son détachement apparent aux événements et à son entourage, je le devinais pourtant très sensible et j’avais envie de mieux comprendre qui était vraiment ce petit garçon. Je me sentais curieuse et cela d’autant plus qu'intuitivement, il me semblait qu’un bout de voile se levait sur un autre mystère.  Et ce mystère avait un autre prénom : c'était Gabriel.
...
       p.19-21

Pas bèche - Jules Bastien Lepage




Depuis huit ans, j’étais en proie à un mal-être dont je ne parvenais pas à déterminer les raisons. Il était associé à un amour passionnel où le bonheur, paradoxalement, ne réussissait pas à prendre toute sa place. La complexité de ma liaison avec Gabriel ne suffisait pas à expliquer les obstacles et les tourments jalonnant le chemin. Nous avions beau nous aimer intensément, nous respecter, être attentifs l’un à l’autre, nous finissions toujours par nous faire du mal. Notre relation se teintait d’un flou incompréhensible. Quelque chose d'indéfinissable parasitait notre amour et nous empêchait d’avancer. Cela tenait à des attitudes de Gabriel que je trouvais décalées, des regards, des hésitations, des peurs qui semblaient toujours sous contrôle. Une partie de Gabriel collait à la réalité, se fondait dans le moule des conventions, une autre, silencieuse, résonnait avec des vibrations qui me mettaient mal à l’aise parfois, et des ondes qui cassaient l’harmonie. Tout cela,  j'en étais sûre, venait de lui sans que je puisse pour autant le rendre coupable de quoi que ce soit. J’avais très vite deviné que ce jeune homme qui avait débarqué dans ma vie n’avait rien d’ordinaire. D'ailleurs, Gabriel se qualifiait souvent d'extra-terrestre. Je souriais de cette comparaison. Le constat semblait caricatural. Je le pensais du moins car il semblait y mettre suffisamment de légèreté et ne donnait pas l’impression de s’en inquiéter. Aujourd’hui je ne suis pas certaine que cette remarque fût faite de façon tellement anodine. Ce statut d’extra-terrestre qu’il s’octroyait ne sonnait-il pas comme une possible explication à des troubles que lui-même avait constatés ? Gabriel se rendait compte qu’il ne fonctionnait pas comme tout le monde, qu’il ne pensait pas comme tout le monde, qu’il ne vivait pas comme tout le monde.

— Je me sens en décalage avec tout, disait-il parfois. Tout ce qui m’arrive est en décalage. Rien ne colle. Rien n’est dans les temps. Je comprenais qu’il exprimait ici à la fois un constat sur sa vie et une interrogation sur les raisons de cette différence. Je le sentais malheureux de cela.

 ...
Lorsque nous dépassâmes le virtuel pour un premier rendez-vous ce fut effectivement bien un extra-terrestre que je vis débarquer.


        Je compris que le papa de Gabriel avait envie de parler, de se livrer. Si les parents connaissaient fort peu de choses de leur enfant ils avaient néanmoins un doute sur quelque chose.

            —  Il est tellement secret. Il ne se confie jamais. J’ai parfois l’impression de ne pas connaître mon fils.

           En si peu de mots le père exprimait à la fois sa tristesse et son impuissance devant cet enfant mystérieux. 
         ...
     Je me contentai d’écouter ce père qui aimait son enfant et n’avait jamais su comment procéder avec lui.

 — On se sait pas toujours comment le prendre, ajoutant encore :


— Il a toujours été têtu. Ce n’est rien de le dire. Quand il a quelque chose dans la tête ….
            La phrase en suspens laissait libre champ à toutes les suppositions. Je n’étais donc pas seule à m’interroger sur Gabriel. Je réalisais que même au bout de trente ans il restait pour ses familiers un mystère



7

  Gabriel avait réussi à surmonter seul sa différence. Il avait formaté sa vie en édifiant patiemment chaque étage, conscient de ce chaos qui s'opposait à faire de lui, à bientôt quarante ans, un homme épanoui et accompli. Il  s'en plaignait de plus en plus souvent : 
— Je me sens en décalage avec tout. Rien ne colle. Je ne suis dans les temps pour rien.
         …
        p.41-45

Mondrian


9

Et l'amour dans tout ça ? 


On peut aimer une personne présentant des TSA, on ne peut jamais être sûr d’être aimé d’elle. Aimé d’amour je veux dire. Il faut se contenter du tourisme, ou du bien-être quotidien. Il faut se contenter de rituels et de routine. Il ne faut rien attendre, juste se laisser surprendre. Il n’empêche que je suis aujourd’hui persuadée que c’est en s’imprégnant, en marquant l’inconscient des neuroatypiques que l’amour les aide à s’élever. L’amour silencieux et invisible. L’amour absolu. Celui qui donne et ne doit pas attendre en retour. Emetteur-récepteur. Un point c’est tout. Et si, brouillé par l’autisme, le message coince quelque part entre le récepteur et le renvoyeur, les ondes elles, font bien leur chemin. J’en suis à ce jour persuadée. Cet amour toujours renouvelé, permet à la personne atteinte de TSA de s’élever au rang d’être humain dans toute sa plénitude de la même manière que toute personne neurotypique.



Je compris donc peu à peu que pour Gabriel rien ne passait directement par l’émotion. Gabriel voyait, recevait, analysait et se contentait au final de copier. Le fait qu’il ne fût pas capable d’aider psychologiquement ni de soutenir moralement était la preuve qu’il ne pouvait pas aller au-delà du miroir. Porter secours il le pouvait néanmoins quand il s’agissait d’agir de façon bien définie. N’avait-il pas sauvé la vie d’un routier en le tirant de sa cabine en feu ? Il avait eu les gestes qu’il fallait puis il s’était éclipsé sans attendre davantage ni les secours qui avaient été prévenus ni un quelconque remerciement. Il s’était de la même façon, et ce à plusieurs reprises, interposé dans le métro pour tirer d’affaire des jeunes femmes importunées, allant jusqu’à intervenir directement lors d’une agression avec menace de mort à son encontre à la clef. Et c’est bien cela qui me faisait peur car je savais – expérience à l’appui que je développe plus loin – que trop de facteurs lui échappaient pour lui permettre d’ agir convenablement et se tirer d’affaire sans casse. Il n’était pas en mesure d’analyser les intentions malveillantes et brutales pour s’en prémunir. L’avenir me donnera raison sur ce point – que je développe encore plus loin.

Les situations concrètes donc l’interpellaient et le faisaient réagir mais quand il me voyait m’effondrer de tristesse ou souffrir de ma situation, il ne savait pas. Il ne connaissait ni les codes de l’émotion, ni les gestes adéquats. Et il en était conscient :

— Quand je vois quelqu’un souffrir ça ne me touche pas. A l’enterrement de ma grand-mère je n’ai pas pleuré. Est-ce que tu penses que c’est normal ?

Normal. Anormal. S’il posait la question c’est bien que lui-même avait son idée et qu’il n’attendait de moi qu’une confirmation. Mais voilà que moi-même je ne savais plus. Gabriel avait tout d’un homme normal, cultivé, aimable et aimant et Gabriel avait encore et toujours quelque chose qui m’interpellait, me dérangeait et que je ne pouvais expliquer. Ce n’était pas lui qui me dérangeait car je prenais tout de lui avec beaucoup d’amour et de bienveillance même lorsqu’en société il se prenait les pieds dans le tapis et que je voyais autour de nous des regards qui en disaient long. Un soir, lors d’un buffet auquel nous avions été invités il se prit véritablement à faire tout un fromage … d’un fromage ! La meule qui trônait sur la table comportait l’appellation « Brie de Meaux ». Or, avec son souci du détail, Gabriel avait relevé dans un recoin de l’étiquette, le numéro vétérinaire « 55 » indiquant le département d’origine. Il ne cessa de répéter, entre la poire et le fromage – ou plus exactement entre le fromage et les fraises succulentes qui nous furent servies à la suite –, à qui voulait l’entendre, que ça n’était point là du Brie de Meaux mais du Brie de Meuse. Et il ne s’agissait pas, je vous l’assure, d’une simple boutade ! La précision, indispensable, s’avérait pour lui de la plus haute importance.

                                                   p.96-97

 ....



—  Je suis un cérébral.

Au fil des jours, je prenais la dimension de ce que Gabriel qualifiait ainsi chez lui de cérébral. Le premier café-rencontre m’éclaira davantage encore. C’était avec son cerveau, avec son intellect pur que Gabriel évoluait, que Gabriel pensait, que Gabriel agissait et que Gabriel … aimait. Le sentimental que j’avais cru percevoir n’était peut-être au fond, qu’une manifestation d’un affect formaté dont le seul chef d’orchestre était le cerveau. Gabriel avait consulté nombre d’articles sur le sujet, soutenait que l’amour n’existait pas.

— L’amour n’est que le résultat de processus chimiques associés, aimait-il à dire doctement.

Et il argumentait avec des références scientifiques qu’il répétait en boucle. Tout n’était que question d’hormones, de sens et d’instincts primaires et j’en passe. Que devais-je en conclure ? Que seul les hormones, les sens, les instincts l’avaient poussé vers moi ? L’amour qu’il me témoignait avec tellement d’intensité n’était-il donc que le résultat de processus chimiques et rien de plus ? Cela était d’autant plus difficile à concevoir qu’il avait déjà su me dire  : 

— Tu me fais vibrer.

            J’avais par conséquent du mal à croire que le cœur n’avait pas son mot à dire dans notre histoire. Non seulement c’était là une superbe déclaration.

...
Après m’avoir comblée de déclarations, s’être montré épris de façon tellement intense, il me déclara, comme ça, un jour :
— L'amour n'est rien.
— Comment cela, rien ?
— Dans le mariage l’amour n’existe pas. Le mariage n’est qu'un bête contrat entre un homme et une femme pour des intérêts communs. Cela n’a  rien à voir avec les sentiments. Sur le contrat de mariage il n'est aucunement fait mention d'amour. Juste d'assistance matérielle et morale, martela-t-il encore.
— Mais l’amour alors ? Notre amour ? Car tout de même entre nous il y a bien de l’amour ?
Il ne répondit pas franchement, ses yeux se firent très fuyants. Il lâcha seulement :
— Je ne suis pas fait pour l’amour.
Là, j’en tombai littéralement des nues ! Mon Petit Prince poète, mon bel oiseau épris, mon doux-rayon, tous ces qualificatifs que lui-même s’était attribués pour me séduire et parler d’amour, tout cela était donc à mettre à la poubelle ! Il n’était pas fait pour l’amour ! Et comme il avait déjà dit une fois « je n’attends rien de personne » il déclara :
— Je n’attends rien de l’amour.
Cette idée faisait voler en éclats tout ce que j’avais imaginé de notre relation. Gabriel était l’image même de l’amour. Après s’être offert à moi avec tout ce naturel d’amour qu’il portait en lui, il souhaitait à présent se détacher de cette image.
...
J’étais tombée amoureuse d’un jeune homme vraiment différent ! Hors du temps ! Décalé était bien le mot en l’occurrence ! 
       ........
 Le miroir se troublait et j’en vins à me poser la question. 
....... 
.......
Cette douloureuse remise en cause était-elle uniquement de mon fait ou bien d’autres partenaires d’autistes l’avaient-ils eux-mêmes expérimentée ? De cela non plus, je n’en savais rien et c’était une souffrance supplémentaire. Mon expérience, pourtant bien parcellaire, comme dirait Gabriel, me pousse à croire que d’autres personnes confrontées à l’amour avec un Aspie ont dû un jour se la poser.
Mon trouble ne pouvait être soulagé. Je ne pouvais prétendre à aucune réponse des professionnels qui me suivaient pour une banale dépression. ... Pour m’aider à me sortir de ce gouffre, ils me ramenaient toujours à moi, m’incitant à trouver les solutions en moi. Or, j’avais du mal avec ce moi, tourmenté par un syndrome qui m’était tombé dessus et bousculait tous les codes. Ma question n’était pas seulement "moi" mais "les TED et moi".
....

 p 145 à 148

 


10
     

            Des balises se mettaient en place. Mes lectures, mon travail auprès de Simon, les équipes éducatives avec les professionnels hospitaliers et maintenant les cafés-rencontres m’éclairaient sur les aptitudes et les déficiences liées au TSA.
                 ...
            La plus importante des révélations, la plus douloureuse aussi fut celle concernant l’empathie, ou plus exactement le manque d’empathie des autistes dont j'avais eu maintes fois à faire les frais.     
            ...
            A ma place, bien des femmes auraient tourné les talons pour éviter de sombrer dans une relation destructrice.   p.61-81
                  ...
Cette journée fut très belle. Il y eut de doux échanges, des baisers mais aussi une drôle de confidence faite soudainement :  
— J’aime bien faire du tourisme avec toi.
— Tu aimes le tourisme avec moi ?
        — Oui, c’est agréable. Tu es de bonne compagnie.
Quelque peu décontenancée je répliquai :  
— C’est donc tout ce que tu aimes avec moi ?
             Gabriel mit un temps pour répondre.
— Non, ce n’est pas tout, dit-il sans sourire, en plissant le front, ce qui laissa supposer qu’il était intrigué par ma remarque, mais le tourisme j’aime bien.
J’essayai une fois de plus de dépasser mon ressentiment. Se moquait-il ? Souhaitait-il enfoncer le couteau du désamour ? Je ne percevais pourtant aucune méchanceté dans le propos, Gabriel se contentait de dire ce qu’il ressentait, c’était comme ça dans sa tête et je le pris ainsi, décidée de ne pas en faire un motif de souffrance supplémentaire. 
Plus tard je compris que le fait d’associer l’agrément du tourisme permettait de poser quelque chose de concret sur son sentiment amoureux. Le concret. Toujours le concret ! Pour le cérébral seul comptait le concret et l’amour n’est pas le concret ! ... La connexion amour-tourisme permettait à Gabriel d’intellectualiser ce qui lui échappait affectivement.
 ...
Je ne devais donc pas me peiner mais au contraire me réjouir : le tourisme et l’amour allaient bien ensemble et c’était ainsi donner à notre amour une signification riche en couleurs et en promesses d’ouverture. C’était aussi une façon pas si désagréable au fond de se découvrir.  p.72-73


©photo MdA - droits réservés

11
...
 
Ce qui pouvait m’ôter du doute fût que Gabriel acceptât de m'écouter et que nous puissions, dans un premier temps, confronter nos points de vue. En toute simplicité, nous avions déjà abordé sa susceptibilité ainsi que les aspects saugrenus et décalés de certains de ses agissements. Il convenait alors : 
— Tu n’as pas tout à fait tort .
J’avais donc bon espoir de l’éveiller à la vérité de son mystère.
— Tu es la seule femme qui a prêté attention à moi, et la personne qui me connaît le mieux. 
    J’avais été terriblement émue de cette confidence.

Ô si tu savais, mon Petit Prince, quel Amour a pu animer cette quête de toi, cette envie de te connaître, cette envie de sonder tes plus profondes et tes plus belles pensées !  Oui, tu étais secret mais je voulais aller au bout de ce secret pour t’aimer bien davantage.  
 p.84-85
...
 A. de S.Exupéry
 

12
          ...
Gabriel avait forcé son intellect à se persuader, à le persuader, que chaque événement ou chose avait une explication rationnelle. Il n’en restait pas moins vrai que lorsque l’événement se présentait pour la première fois et qu’aucun tiroir ne possédait la fiche : « expérience numéro tant », son cerveau reptilien se branchait sur le mode « panique à bord ».


      Paradoxalement, sa naïveté pouvait le faire tomber dans l'excès inverse. Que quelqu’un se montre un tant soit peu attentif, il se livrait alors à n'importe quelle confidence se laissant en contrepartie conduire à n'importe quoi au risque de tomber dans les subtilités les plus mesquines. Gabriel le méfiant, Gabriel le rigide adhérait alors de bonne grâce à des dogmes qu’il avait pu combattre la veille, avec d’autres certitudes. Il racontait ainsi, à tort et à travers sa vie, et la mienne parfois, livrant à des gens que cela n’intéressait nullement, des précisions sur ses activités ou sur notre relation.


...
 Sa nouvelle liberté, celle de s’exprimer plus facilement, celle d’évoluer en société avec plus de facilité à cacher sa défaillance, multipliait les risques de lui faire croiser des gens malintentionnés. Je savais qu’il ne pourrait s’en préserver et qu’il se mettait en péril avec des discours, des confidences qu’il faisait de plus en plus allègrement.

 
©photo MdA - droits réservés

13

Les labyrinthes ! Les labyrinthes étaient pour Gabriel un monde qu’il affectionnait particulièrement : les vieux forts de la ligne Maginot, les usines désaffectées, tel un chat il aimait s’y perdre mais ne s’y perdait jamais car son sens de l’orientation était phénoménal. Le labyrinthe de son cerveau était en revanche autrement plus complexe autant pour lui, que pour moi. 
 ©photo du net - 123RF
...
J’avoue que bien des choses m’échappent encore concernant ce que Gabriel est capable de recevoir, percevoir, coder et décoder. Si j’ai, à ce jour, beaucoup d’éléments de réflexions dans mes cartons, les stratégies qui pourraient m’aider à me sentir mieux et faire prendre conscience à Gabriel où se situent les cinq lettres du verbe AIMER sont quasi nulles.
 On peut aimer une personne présentant des TSA, on ne peut jamais être sûr d’être aimé d’elle. Aimé d’amour je veux dire. Il faut se contenter du tourisme, ou du bien-être quotidien. Il faut se contenter de rituels et de routine. Il ne faut rien attendre, juste se laisser surprendre. Il n’empêche que je suis aujourd’hui persuadée que c’est en s’imprégnant, en marquant l’inconscient des neuroatypiques que l’amour les aide à s’élever. L’amour silencieux et invisible. L’amour absolu. Celui qui donne et ne doit pas attendre en retour. Emetteur-récepteur. Un point c’est tout. Mais si le message coince quelque part entre le récepteur et le renvoyeur, les ondes elles, font bien leur chemin. J’en suis à ce jour persuadée. Cet amour toujours renouvelé, permet à la personne atteinte de TSA de s’élever au rang d’être humain dans toute sa plénitude de la même manière que toute personne neurotypique.
p. 95 du paragraphe 12 

***


extrait - p.197

... S’il s'était jusqu'alors montré prévenant et aimable, au fil des mois, les manifestations de son amour et de son attachement s’espaçaient. Les premiers Noël, les premières Saint-Valentin, le premier anniversaire qui avaient suivi notre rencontre, furent des bouquets de cadeaux tendres et remplis d’amour. Vinrent ensuite des années avec et des années sans, sans que je puisse avoir d’explication à ces manifestations d’amour ou à leur absence. Aujourd’hui, ma découverte de l’autisme m’a fait prendre conscience des efforts que Gabriel devait faire en permanence pour adapter son comportement aux situations, pour éviter de blesser par des paroles dont il ne mesurait pas instinctivement la conséquence et surtout pour exécuter des rituels purement conventionnels. Même si la gentillesse et la douceur sous-jacentes correspondaient à son naturel,  il n’était pas toujours en mesure de les utiliser à bon escient. 
...

Aujourd’hui, mon Petit Prince, je comprends que tu ne pouvais pas, à certains moments, dépasser le rythme de ton quotidien pour y ajouter des obligations.

La vie et son avancée « ordinaire » t’imposait déjà des efforts intenses. Le reste n'était que détails qu’il te fallait absolument délaisser pour ne pas sombrer dans un trop-plein de stimuli impossible à gérer. Aucun oubli, aucune de tes négligences n’était voulu, et encore moins destiné à me faire souffrir. 

***


19
extrait p. 220  

Maladroit ou gauche, j’avais remarqué cela, jusque dans le simple geste de tenir un papier, une feuille, un verre. Ses doigts étaient raides souvent, ses mains empruntées. La pince n’était pas naturelle, elle se faisait toujours à deux ou trois doigts pendant que les autres restaient inutiles, repliés dans le creux de la paume. 
Il était conscient de ses difficultés de coordination. Il n’aimait pas la danse, ne comprenait pas le plaisir que certains pouvaient y trouver. Je gardais en tête le souvenir d’un bal du 14 juillet où j’avais fait les frais de sa gaucherie en me laissant stoïquement, tout au long de la soirée, piétiner les doigts de pieds restés à l’air dans les sandalettes. Il dansait les slows en gardant les jambes écartées et extrêmement raidies. Rien ne glissait, c’était saccadé, brusque. Il évoluait en se penchant d’un côté puis de l’autre et je ne pus m’empêcher de trouver qu’il ressemblait quelque peu à un manchot. A un manchot ou à un albatros, vaste oiseau des mers …exilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l'empêchent de marcher. Sur les musiques plus toniques il sautait plus qu’il ne dansait ce qui aurait pu passer inaperçu si le rythme avait été un tant soit peu en phase avec la musique, ce qui n’était pas le cas. Mais Gabriel cette soirée-là était heureux ! Je l’étais aussi ! 




***



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3 commentaires:

  1. BONJOUR
    depuis quelques semaines j'ai "révélé" (grace à mes recherches et lectures dont ce superbe livre que vous avez su créer) le syndrome dont est doté mon ami ....biensur il y a eu soulagement....je crois que pour le moment il est surtout pour moi ce soulagement d'avoir su lui parler sans le perdre .ce qui me fait de la peine aujourd'hui : il comprend , il sait , il accepte ....mais ne VEUT PAS consulter , se fait une fierté de continuer à se débrouiller seul et comme il VEUT ....ok , comme d'hab je comprends , je respecte et l'écoute mais je suis de plus en plus attentive à ses moments d'angoisse dûs au harcelement ou aux attaques physiques potentielles....on en parle , il s'apaise,j'attends et l'accueille avec douceur et bonne humeur quand il a évacué son stress simplement en "cogitant" et en trouvant une stratégie mentale pour contourner le problème du moment ...
    moi , avec mon cerveau "zèbre" ( on est vernis lol )je constate et surement interprête ; en lui disant que c'est au niveau du mental, du cognitif qu'il faudrait "corriger" ses angoisses ....lui préfère penser que c'est en développant sa musculature et ses compétences de combattant (qu' n'a absolument pas ) qu'il saura ressentir ses facultés de defense ou d' attaque (lui qui est gaulé comme une hirondelle )
    .....au cas où...
    voilà , j'avais besoin de le dire et de demander un peu d'aide ...
    merci
    ....

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    Réponses
    1. Bonjour Rose, puisque vous m'écrivez en commentaire public je vous réponds de la même façon, peut-être notre conversation permettra-t-elle à d'autres personnes d'y voir plus clair dans leur propre parcours et éventuellement d'intervenir pour exprimer leur expérience personnelle. Vous ne m'indiquez pas l'âge de votre ami. C'est un élément important pour la réponse plus claire que je pourrais vous donner, mais si vous ne souhaitez rien dévoiler de personnel en public vous pouvez le faire en privé (le lien contact en marge droite est fait pour cela). J'ai envie de vous dire que déjà vous avez fait le pas le plus important en réussissant à en parler avec lui et qu'il ne soit pas hostile à cette révélation. Concernant les personnes avec autisme, qui restent pour la plupart accrochées à leurs certitudes, ce qui fait dire vulgairement qu'elles sont "têtues", il faut toujours leur permettre d'avancer dans la confiance. C'est par expérience ce qui me semble fonctionner le mieux. Or, cette confiance, elle semble déjà exister à votre égard de la part de votre ami. Alors, je dirais, deuxième mot important : patience. Cela va prendre du temps, mais cela se fera. Par des détours vous l'amènerez à réfléchir. Rien n'est perdu dans ce que l'on dit à un Aspie, mais cela prend du temps à faire le chemin dans le labyrinthe du cerveau. Comme vous l'avez lu, tout est histoire de réception, de transmission, d'assimilation et de renvoi de l'information. A vous lire, je reconnais quelque part "mon" Gabriel que vous aurez découvert également entre les pages comme quelqu'un de sûr de lui et de ses convictions, très sûr aussi de ses capacités physiques alors que comme vous le dites il est de la même façon que votre ami "gaulé comme une hirondelle" LOL. Voilà ce que je peux vous dire publiquement. Si par ailleurs vous voulez échanger plus personnellement, n'hésitez pas à le faire par l'onglet contact. Restant à votre écoute, bien cordialement. MdA.

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